Châteaubriant

Le réseau chaleur de Châteaubriant : un bilan décevant

Côté écologie, Châteaubriant devra revoir sa copie. Après 15 années de fonctionnement, le réseau chaleur, tellement vanté à son démarrage fin 2011, voit sa dépendance aux énergies fossiles augmenter.

Le réseau chaleur de Châteaubriant : un bilan décevant.
En 2017, la ville de Loire-Atlantique inaugurait en grande pompe sa centrale solaire thermique fonctionnant en cogénération Bois Gaz Solaire. A l’époque, elle était présentée comme une première française. Mais l’examen du dispositif révèle les limites d’une transition énergétique qui peine à s’affranchir des énergies fossiles.

À Châteaubriant, l’innovation fait figure d’étendard municipal. Depuis 2011 et sa Marianne d’Or récompensant son réseau de chaleur urbain, la ville de 12 000 habitants cultive son image de territoire pionnier en matière de transition énergétique. La centrale solaire thermique de 2 MW, raccordée au réseau de chaleur et saluée comme « la première de cette envergure en France ». Financé à hauteur de 70 % par l’ADEME, le projet bénéficiait d’un large soutien institutionnel et d’une communication volontariste de la municipalité.

Châteaubriant : le réseau chaleur un modèle énergétique contesté.
La part de la biomasse ne cesse de baisser au profit du gaz. En 2022, la biomasse représentait 66 %. Elle ne représente plus que 57,4 % (Données France-Chaleur gouv)

Pourtant, derrière l’apparente exemplarité du dispositif, plusieurs zones d’ombre persistent. À commencer par une réalité que les documents officiels peinent à mettre en avant : le système solaire est couplé à une cogénération au gaz naturel, gérée par ENGIE Cofely. Cette dépendance aux énergies fossiles n’est pas anecdotique. En France, le solaire thermique affiche un facteur de charge compris entre 15 et 25 %, ce qui signifie que plus des trois quarts de l’énergie produite proviennent d’autres sources — en l’occurrence, du gaz. En 2025, le coût du gaz est extrêmement volatile.

Une « énergie gratuite » aux coûts cachés

« Le solaire a cet avantage d’être une énergie jusqu’ici gratuite, inépuisable et qui ne subit pas de révision de ses tarifs comme les autres énergies », expliquait Dominique Egret, ex-directeur des services techniques de la ville_ parti très vite, dès sa retraite sonnée, vers des cieux plus cléments et moins pollués, loin de Châteaubriant_lors de la présentation du projet, en 2011. L’argument avait de quoi séduire. Mais il occultait une partie significative de l’équation : les coûts d’installation, de maintenance et de remplacement des équipements, dont la durée de vie n’excède pas 20 à 25 ans. Les performances des panneaux solaires installés à Châteaubriant sont aujourd’hui médiocres. La durée de retour sur investissement est de trente ans pour une durée de vie d’une vingtaine d’années. Cherchez l’erreur.

Panneaux solaires Châteaubriant

L’emprise au sol, elle aussi, interroge. Une centrale solaire thermique de 2 MW nécessite plusieurs milliers de mètres carrés, autant de surfaces qui auraient pu être dédiées à la végétalisation, à l’agriculture ou à la préservation d’espaces naturels. Sans compter le bilan carbone de la fabrication des capteurs — énergie grise, métaux, verre — et des infrastructures associées : béton, tuyauterie, isolation. Les performances des panneaux solaires installés à Châteaubriant sont aujourd’hui médiocres. La durée de retour sur investissement est de trente ans pour une durée de vie d’une vingtaine d’années. Cherchez l’erreur.

Face à ces limites, certains experts auraient préféré des solutions alternatives : rénovation thermique massive des bâtiments, géothermie profonde, ou encore récupération de chaleur fatale industrielle. « Pourquoi investir dans du solaire thermique centralisé quand le photovoltaïque couplé à des pompes à chaleur individuelles offre un bien meilleur rendement énergétique ? », s’interroge un ingénieur spécialisé dans les réseaux de chaleur, qui a requis l’anonymat.

Un modèle économique fragilisé

La viabilité à long terme du projet soulève d’autres interrogations. Le Fonds chaleur, instrument majeur de financement de l’ADEME qui a permis de couvrir 70 % de l’investissement initial, connaît actuellement une réorientation stratégique. L’agence envisage de baisser drastiquement ses subventions pour ce type d’installations, privilégiant désormais des solutions jugées plus efficientes comme la géothermie ou la récupération de chaleur fatale.

Le réseau chaleur de Châteaubriant : un bilan décevant
La chaudière bois située à l’ouest de la ville de Châteaubriant sous les vents dominants. La population subit les polluants toute l’année.

Cette évolution pose une question cruciale : qu’adviendra-t-il lors du renouvellement des équipements ? Dans 10, 15, 20 ans, lorsque les capteurs solaires et les infrastructures atteindront leur fin de vie, la collectivité devra-t-elle assumer seule l’intégralité des coûts ? Sans le soutien public massif qui a permis le lancement du projet, le modèle économique de l’installation pourrait s’avérer difficilement tenable. Une perspective qui interroge sur la pérennité réelle de ces investissements présentés comme structurants pour la transition énergétique locale.

Le bois-énergie, un bilan plus complexe qu’il n’y paraît

Châteaubriant a fait le choix du solaire, du gaz, et biomasse. Le bois-énergie, souvent présenté comme une solution « verte » et locale. Mais ce consensus commence à se fissurer. La combustion du bois émet massivement des particules fines (PM2.5 et PM10), particulièrement dangereuses pour la santé respiratoire et cardiovasculaire.

Elle produit aussi des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), dont certains sont cancérigènes, ainsi que du monoxyde de carbone et des composés organiques volatils.

Un problème de santé publique

Le mythe de la neutralité carbone du bois, lui, ne résiste pas à l’examen. Si le bois est théoriquement « renouvelable », cette neutralité ne fonctionne qu’à très long terme — plusieurs décennies pour qu’un arbre repousse et recapte le CO2.

Les intellectuels qui dirigent la ville de Châteaubriant ont cru bon de construire la chaufferie bois, à l’ouest de la ville, sous les vents.

La chaudière bois, une véritable usine à gaz

Cette configuration dirige les panaches de fumées vers l’ensemble des zones habitées situées à l’est, c’est-à-dire la quasi-totalité de l’agglomération. Ainsi la population respire les émanations toxiques dégagées. Cela ne coutait rien de plus d’installer la chaufferie bois à l’est de la ville, puisque le réseau dessert par exemple le lycée Moquet-Lenoir. En dirigeant les effluents toxiques vers des zones moins peuplées, on diminuait les risques sanitaires.

Malgré la présence de filtres, la combustion de biomasse génère inévitablement des polluants atmosphériques : particules fines, oxydes d’azote (NOx) et autres composés nocifs. Les riverains subissent ainsi une exposition chronique à ces émissions, avec des conséquences potentielles sur leur santé respiratoire.

Un cocktail toxique aggravé par la topographie de Châteaubriant

Les Castelbriantais sont déjà confrontés aux émissions de la fonderie Focast, installée en plein centre-ville. À cette première source de pollution s’ajoute désormais celle de la centrale biomasse.

Le réseau chaleur de Châteaubriant : un bilan décevant
Focast, une fonderie en centre-ville de Châteaubriant, à 200 mètres à vol d’oiseau d’une école maternelle. Ici, nous sommes encore au 19è siècle.

La topographie particulière de Châteaubriant aggrave considérablement la situation. La ville, implantée en cuvette, souffre d’une circulation d’air naturellement limitée. Les polluants tendent à stagner plutôt qu’à se disperser. Avec un taux d’humidité avoisinant régulièrement les 80%, les conditions sont réunies pour favoriser la concentration des particules fines dans l’atmosphère.

Des conséquences sanitaires mesurables

Dans ce contexte environnemental dégradé, la prévalence élevée des pathologies respiratoires chez les habitants ne surprend guère les professionnels de santé. Asthme, bronchites chroniques, allergies respiratoires : ces affections trouvent dans la qualité de l’air un facteur aggravant documenté.

Les populations les plus vulnérables – enfants, personnes âgées, personnes souffrant de pathologies respiratoires ou cardiovasculaires préexistantes – sont particulièrement exposées aux effets de cette pollution atmosphérique quotidienne.

Face à ces constats, la question se pose : les choix énergétiques effectués servent-ils réellement l’intérêt sanitaire des Castelbriantais ? Entre promesses écologiques et réalité des impacts sur la santé, le fossé apparaît préoccupant. Une réévaluation transparente des données d’émissions et de qualité de l’air semble aujourd’hui indispensable pour protéger la santé des habitants.

Le gaz naturel, une « transition » qui s’éternise

Le gaz naturel, lui, a longtemps été vendu comme l’énergie de « transition », plus propre que le charbon ou le fioul.

Mais cette image rassurante se heurte à une réalité bien moins reluisante. Le gaz émet du CO2 lors de la combustion, contribuant directement au réchauffement climatique. Surtout, les fuites de méthane (CH4) tout au long de la chaîne d’extraction et de transport sont dramatiques : le méthane possède un pouvoir réchauffant 80 fois supérieur au CO2 sur 20 ans.

En outre, les infrastructures gazières enferment les territoires dans une dépendance aux énergies fossiles pour des décennies. Un piège financier et écologique que plusieurs pays européens tentent désormais d’éviter : aux Pays-Bas ou en Allemagne, les nouveaux bâtiments ne peuvent plus être raccordés au gaz.

Sortir du modèle « brûler quelque chose pour se chauffer »

À Châteaubriant, le projet solaire a été présenté comme une étape vers la croissance verte. Mais pour de nombreux observateurs, il incarne surtout les limites d’une transition énergétique qui peine à rompre avec les logiques du passé. « Ce type de projet fonctionne avant tout comme une vitrine politique, analyse un chercheur en énergies renouvelables. L’argent public aurait été plus efficace s’il avait été massivement investi dans l’isolation des bâtiments existants. »

Aujourd’hui, la priorité des politiques énergétiques les plus ambitieuses va aux pompes à chaleur, à l’isolation thermique des bâtiments, aux réseaux de chaleur alimentés par géothermie ou chaleur fatale industrielle. L’enjeu : sortir progressivement du modèle « brûler quelque chose pour se chauffer », quel que soit le combustible.

La prise de conscience est récente mais réelle. Plusieurs villes européennes restreignent désormais les chauffages au bois, et les subventions publiques s’orientent vers des solutions moins polluantes. À Châteaubriant, après 15 ans d’expérience, on est encore loin du développement durable promis. Non, Châteaubriant n’est vraiment pas une ville écologique.