Justice

Un manifestant met huit ans pour faire condamner un policier

Un officier de police judiciaire (OPJ) du commissariat central de Nantes (Loire-Atlantique) a été condamné ce jeudi 1er février 2024 pour avoir matraqué sans raison un manifestant en 2016 lors du mouvement contre la loi Travail, après huit ans de procédure émaillés de tentatives de syndicats de policiers pour faire échouer l'enquête de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN).

Un manifestant met huit ans pour faire condamner un policier qui l’avait matraqué sans raison à Nantes.

Christophe XXX a écopé pour ces « violences volontaires » de quatre mois de prison avec sursis simple, comme l’avait requis la procureure de la République lors de l’audience le 23 janvier 2024. La peine de ce fonctionnaire âgé aujourd’hui de 50 ans ne sera pas inscrite sur la partie du casier judiciaire accessible aux employeurs, pour qu’il puisse conserver son emploi.

Sur le plan financier, il devra verser 500 € au manifestant pour les « souffrances endurées » et 1.000 € supplémentaires pour ses frais de justice. Lors de l’audience, son avocat Me Pierre Huriet avait demandé 5.000 € pour le préjudice moral de son client et 2.000 € pour ses frais de justice.

Christophe XXX était en fait en poste, à l’époque, à la Compagnie départementale d’intervention (CDI 44) : il travaillait le 24 mars 2016 sur une opération de « maintien de l’ordre » boulevard de l’Amiral-Courbet, l’axe qui surplombe le commissariat central de police de Nantes.

Un manifestant met huit ans pour faire condamner un policier

La police n’avait « pas donné l’identité » de l’auteur des coups

C’est « une vidéo sur les réseaux sociaux » qui avait conduit le procureur de la République de l’époque, Pierre Sennès, à confier dans un premier temps une « enquête de flagrance » à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), a retracé la présidente du tribunal correctionnel de Nantes lors d’une audience à juge unique. On y voyait le manifestant « poussé violemment » et être touché par « une blessure au crâne ».

Interrogé par l’IGPN, le commandant de la CDI avait admis par la suite que l’auteur des coups « semble » appartenir à son unité mais que la victime était une personne « à potentiel dangereux », « n’obéissant pas aux sommations » de quitter les lieux et « empêchant l’avancée des colonnes » de policiers. « Malgré l’engagement pris » devant l’IGPN, avait souligné la présidente du tribunal, ses services n’avaient finalement « pas donné l’identité » du policier incriminé. Cette première enquête avait donc été classée sans suite au bout d’un an par le parquet de Nantes.

Après avoir mis « six mois » supplémentaires à récupérer le dossier, Maxime D… avait donc déposé une plainte contre X avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d’instruction du tribunal judiciaire de Nantes le 14 mai 2018 : il avait eu sept points de suture.

Constatant que le commandant de la CDI 44 n’avait « pas pu identifier » l’auteur des coups de matraque et que « personne ne s’était dénoncé », le juge d’instruction Stéphane Lorentz avait alors annoncé son intention d’interroger « l’ensemble des personnels » de l’unité, un par un… L’actuel OPJ avait alors eu « écho » de cette possibilité : après avoir croisé son ancien chef « dans un couloir », il avait « pris l’initiative » de « contacter » de lui-même l’Inspection générale de la police nationale, avait-il relaté à l’audience. Convoqué en octobre 2020, il sera finalement mis en examen.

 » Bon nombre de manifestants sont dans la provocation »

« Je peux comprendre que le geste soit impressionnant, mais, pour avoir un minimum d’efficience, il faut prendre un peu d’élan : souvent les manifestants ont de grands blousons et des coques de moto par-dessous », s’était défendu le policier lors de son procès. Il n’avait pas touché de « partie vitale » du corps : il n’a « pas vu » la tête du manifestant toucher sa matraque et celui-ci avait « toute latitude pour quitter les lieux ».

Après l’avoir laissé finir, la présidente du tribunal correctionnel de Nantes avait commencé par convenir que les conditions dans lesquelles lui et ses collègues étaient amenés à intervenir en manifestation sont « inadmissibles » et que « bon nombre de manifestants sont dans la provocation ».

Mais « pourquoi ne vous êtes-vous pas manifesté plus tôt ? », lui avait-elle demandé en premier lieu. « Les manifestations s’enchaînaient, on avait tous hâte de rentrer chez soi le soir, on n’avait même pas le temps de faire de RETEX [RETour d’EXpérience, ndlr] », lui avait-il répondu. « Aussi bien ma hiérarchie que moi, on avait jugé qu’on était dans notre bon droit et on a décidé de ne pas donner suite [à l’enquête de l’IGPN, ndlr]. »

L’avocat du manifestant avait toutefois rappelé que « l’information a été très bien diffusée » au sein du commissariat de police Waldeck-Rousseau « au vu de la réaction des leaders syndicaux » : dans un procès-verbal « glaçant », l’IGPN a consigné l’intervention du responsable du Syndicat général de la police – Force ouvrière (SGP – FO). Celui-ci « se plaint » de cette enquête interne, prévient qu’il « ne va pas en rester là » et va « appeler partout », et enfin revendique d’avoir « arraché » les appels à témoins placardés par les « bœufs-carottes » sur le boulevard de l’Amiral-Courbet…

Un dossier  » emblématique d’une certaine dérive »

« Ce dossier est assez emblématique d’une dérive qu’on a pu observer dans le maintien de l’ordre à la française », avait commenté Me Pierre Huriet. « Il sert d’ailleurs de dossier-support à l’école d’avocats pour illustrer tout ce qui dysfonctionne en matière de violences policières. Le délai déraisonnable dans lequel il est jugé explique pourquoi 99 % des manifestants renoncent à leurs poursuites : ils ne veulent pas en faire le combat de leur vie. »

Sur « la quarantaine » de procédures engagées par lui et ses confrères Stéphane Vallée et Maxime Gouache, le dossier de Maxime D… est ainsi « le seul » à être allé à son terme, avait assuré Pierre Huriet à la juge. « C’est extrêmement destructeur pour l’image des institutions : cela casse un peu le pacte républicain, qui veut qu’on soit tous égaux devant la loi », avait-il regretté. « Agréablement surpris » par l’enquête de l’IGPN, il avait fustigé en revanche la « lâcheté terrible » du procureur de la République de l’époque : Pierre Sennès avait préféré classer sans suites l’enquête initiale pour des raisons « politiques », afin de « ne pas faire de vagues » auprès des policiers au vu de la réaction de leurs syndicats.

C’est finalement la perspective d’un « Cluedo géant » au sein de la CDI 44 envisagée par « un honnête homme » – le juge d’instruction Stéphane Lorentz – qui a permis de faire aboutir cette procédure. « Il est important que ce soit dit en audience publique, que cela soit débattu démocratiquement », avait insisté l’avocat de Maxime D… « Je suis prêt à assumer mes propos devant une commission de discipline. »

Me Mathias Jarry, l’avocat du prévenu, avait lui évoqué « la lâcheté des manifestants » : ils « se cachent derrière des masques » pour s’en prendre aux forces de l’ordre. Il avait donc plaidé « en confiance » une relaxe de son client pour ce « geste réglementaire », dans cette « mauvaise procédure » qui lui est faite. En remettant les « lettres de félicitations » de la hiérarchie policière, il avait aussi invité la juge à « consulter le casier judiciaire » du plaignant./GF (PressPepper)

Visuels d’illustration : Hermann Click & Wikipédia.

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