Musique

Louise Jallu trace aujourd’hui son chemin singulier

Louise Jallu trace aujourd’hui son chemin singulier. Elle nous invite dans son monde, l’univers du bandonéon. Avec des interprètes hors-normes avant elle, Louise Jallu relève le défi.

Malgré son air rêveur et sa voix douce, c’est animée d’une véritable conviction que la bandonéoniste Louise Jallu trace aujourd’hui son chemin singulier, comme en témoignent ses deux albums et ses nombreuses récompenses. Sa démarche : dialoguer avec les grandes figures du passé, avec le jazz ou la musique contemporaine, pour nous laisser découvrir son propre monde musical.

Le bandonéon, une histoire de famille

Le bandonéon, c’est sa grande sœur qui en a d’abord l’idée grâce à leurs parents, très mélomanes. C’est elle qui la première montre à Louise Jallu cette machine étrange, avec son soufflet hypnotisant et son timbre si particulier. C’est un coup de foudre, et Louise accompagne rapidement sa sœur à ses leçons au conservatoire de Gennevilliers, premier établissement français à ouvrir une classe de bandonéon en 1988.

Là, elle découvre le tango, ses codes, son répertoire mais aussi Bach, Scarlatti, le jazz, la musique contemporaine, l’orchestre et surtout l’écriture qu’elle apprend avec Bernard Cavanna, se passionnant pour tout ce qu’on lui enseigne
.
Un parcours jusque-là simplement prometteur quand soudain, à 16 ans seulement, elle remporte le deuxième prix du Concours International de Klingenthal, dans la catégorie bandonéon solo face à certains des meilleurs instrumentistes du moment. Pour elle, c’est un encouragement à continuer son chemin, comme elle l’entend.

“ C’est peut-être parce que je ne viens pas de la culture argentine, même si je m’y suis plongée pendant mes études, que je ne fais pas du tango traditionnel. J’ai essayé de faire de cet autre héritage, de ce regard différent, une force plutôt qu’un manque. ”

Entre tango, jazz et musique contemporaine

Depuis, elle partage sur scène son univers musical, entre tango, jazz et musique contemporaine. Elle joue en solo, avec le Louise Jallu Quartet (contrebasse, violon, piano et bandonéon, la formation traditionnelle du tango) ou avec les amis de passage, créant sans en avoir l’air, une catégorie musicale à part autour de ce bandonéon “bisonore” (l’instrument d’origine, avec ses quatre claviers différents) qu’elle pratique en virtuose tout en parvenant à transformer cette complexité technique en possibilités expressives.

Sur scène, on la voit respirer avec son instrument, l’envelopper de ses bras avec un demi sourire, le regard un peu ailleurs. Par sa présence lumineuse, Louise Jallu nous invite doucement à entrer dans son monde, sans tenter à tout prix de faire effraction dans le nôtre.

“ J’aime imaginer la scène comme un dialogue, je ne suis pas là pour donner une leçon. Certaines personnes viennent en pensant écouter du tango et elles découvrent autre chose : j’essaie de les emmener quelque part, de les surprendre sans les heurter. ”

Francesita, la petite Française

Louise Jallu interroge l’héritage du tango dans son premier album, Francesita, sorti en 2018. À l’image de son titre, qui signifie petite française, l’album ouvre des dialogues, d’abord entre le tango et les autres genres : la chanson avec Sanseverino, la musique contemporaine avec Anthony Millet ou Bernard Cavanna. C’est aussi un dialogue entre le bandonéon solo et le Louise Jallu Quartet qui partagent les mêmes titres en les éclairant de deux lumières différentes.

C’est enfin un dialogue entre ces images un peu clichées d’un tango comme une danse érotisée et l’histoire plus complexe de cette musique, plus féminine aussi. À partir des tangos chantés d’Enrique Delfino, chansons réalistes des années 1920, Louise Jallu rappelle cette traite des Blanches, telle que l’a décrite Albert Londres dans son livre, les vies de ces femmes nées en Europe, enlevées et condamnées à vivre dans les maisons closes d’Amérique du Sud.

Un album qui rappelle que le tango est, dès ses origines, un lieu de dialogue entre les cultures dans lequel chacun peut trouver sa place.

“ Pour moi, il faut toujours considérer le passé pour façonner le présent, ne pas omettre le rôle de ces présences et de ces vies disparues dans ce que nous faisons aujourd’hui ”.

En 2021, ce fut le centenaire Piazzolla

Avec le centenaire d’Astor Piazzolla en 2021, il était difficile pour Louise Jallu de ne pas entamer une conversation avec cette figure incontournable de l’histoire du tango. Méditant sa musique depuis ses toutes premières leçons, elle se retrouve dans la démarche qui a conduit le créateur du Nuevo Tango à interroger le passé. Elle décide donc d’appliquer à Piazzolla sa propre méthode, en reprenant ses compositions comme des standards à modifier, décaler et questionner.

En travaillant avec le pianiste Gustavo Beytelmann, compagnon de route de Piazzolla lui-même, c’est encore le passé qui surgit dans le présent et qui la conforte avec amitié dans son projet. Le trompettiste jazz Médéric Collignon, quant à lui, apporte le timbre mélancolique de son instrument au titre Oblivion.
C’est aussi grâce au soutien de la fondation Lagardère dont elle est lauréate et de la Philharmonie de Paris qu’elle peut mener à bien cet album audacieux qui contribue à sa nomination comme révélation aux Victoires du Jazz 2021. Un album qui continue à vivre comme dans le projet « Piazzolla Orchestra », un arrangement par Louise, en complicité avec Bernard Cavanna, de certains de ses titres pour ensemble à cordes, bandonéon solo et piano, en collaboration avec l’Orchestre National de Bretagne..

“ J’ai fait des recherches sur Piazzolla pour sortir des préjugés, redécouvrir qui il était. C’était important aussi d’avoir un regard critique sur son travail pour le tirer vers la modernité. Lui-même disait que la musique avait évolué et qu’il fallait créer d’autres langages. « 

Quel avenir pour le bandonéon

Quel avenir et quel répertoire pour le bandonéon dont l’histoire est encore en train de s’écrire ? Louise Jallu répond à sa manière à ces questions en faisant découvrir les possibilités de son instrument à des compositeurs d’aujourd’hui. Avec Bernard Cavanna notamment, elle explore d’autres modes de jeu et d’autres sonorités comme dans Sonatine Orchestra, commande de l’Orchestre national de Bretagne.

Mais elle-même se tourne vers l’écriture, dès Francesita, avec des titres comme Sept Huîtres ou À Gennevilliers, travaillant sur les modes et les rythmes pour trouver sa propre voix. Un chemin qu’elle explore pour son prochain album, notamment lors de sa résidence à la Villa Médicis en janvier et février 2022.

L’avenir, elle y travaille encore dans la classe du conservatoire de Gennevilliers dont elle a repris les rênes, transmettant à une future génération de musiciens une autre vision de l’instrument. Une manière de dialoguer avec le futur.

“ Le tango, c’est au départ un rythme mais c’est aussi un état d’esprit : une forme de transgression, s’emparer de ce qui existe déjà pour en faire une autre forme d’expression personnelle. ”

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