Châteaubriant : quand les statistiques servent la communication plutôt que l’information.
La ville de Châteaubriant vante sur son site internet une dynamique économique exceptionnelle, s’appuyant sur des « chiffres publiés par l’INSEE ». Pourtant, une confrontation avec les données officielles révèle un décalage troublant entre le discours municipal et la réalité statistique. Analyse d’une communication publique où l’art de sélectionner les chiffres confine à la manipulation.
Un taux de chômage qui change selon le périmètre
Le procédé le plus spectaculaire réside dans la présentation du taux de chômage. Le texte municipal affirme avec assurance : « Le taux de chômage sur la zone d’emploi de Châteaubriant s’établit actuellement à 5,5 %, un chiffre inférieur à la moyenne départementale (5,7 %) et nettement en deçà de celui observé en France métropolitaine (7,2 %) ».
La formulation est habile. En parlant de « la zone d’emploi de Châteaubriant », elle laisse entendre qu’il s’agit du taux de la ville elle-même. Or, les données de l’INSEE pour la commune de Châteaubriant en 2022 établissent le taux de chômage des 15-64 ans à 13,6 %, soit près de deux points au-dessus de la moyenne nationale (11,7 %).
Non, Châteaubriant n’est pas un moteur pour l’emploi en Loire-Atlantique. La ville est plutôt à la traine.
Cette substitution territoriale n’est pas anodine. Une zone d’emploi regroupe plusieurs dizaines de communes sur un bassin économique cohérent. Invoquer ce périmètre élargi pour décrire la situation locale revient à vanter le dynamisme économique de la Seine-Saint-Denis en citant les statistiques de l’Île-de-France. Techniquement exact, mais fondamentalement trompeur.
Les silences éloquents : le taux d’activité absent du récit
Plus révélateur encore est ce que le texte ne dit pas. Nulle mention du taux d’activité des 15-64 ans, pourtant indicateur essentiel de la vitalité économique d’un territoire. À Châteaubriant, il s’établit à 71,7 %, contre 75,2 % au niveau national. Cette différence de 3,5 points signifie qu’une part significativement plus faible de la population en âge de travailler est effectivement active ou en recherche d’emploi.
Et pour aller au bout de la transparence, nous avons demandé à l’Insee des Pays de la Loire. Une technicienne nous a répondu :
Châteaubriant semble en moins bonne santé socio-économique que celle de Derval. La source de référence est l’enquête Emploi de l’Insee, qui établit le taux de chômage au sens du bureau international du travail. Néanmoins, les chiffres de l’enquête Emploi ne sont disponibles qu’à la zone d’emploi au plus fin.
Le recensement de la population permet d’avoir une estimation du taux de chômage à un niveau plus fin, mais il s’agit de la situation déclarée par les individus : en particulier, une personne peut se dire au chômage mais ne pas effectuer de recherche active d’emploi et donc ne pas être considérée comme telle au sens du BIT.
Il y a aussi des chiffres relatifs aux demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) : à prendre avec précaution actuellement avec la loi pour le Plein emploi, qui ramène notamment vers France Travail les bénéficiaires du RSA.
Par ailleurs, au niveau local, il existe également les estimations annuelles d’emploi, d’origine administrative.
Cette omission n’est pas fortuite. Dans un texte qui multiplie les chiffres pour asseoir sa crédibilité, l’absence d’une donnée aussi structurante trahit une stratégie de sélection : on ne retient que ce qui sert le récit d’un « territoire moteur ».
La croissance de l’emploi : l’effet de base
Le texte célèbre une « accélération nette » avec 876 emplois créés entre 2016 et 2022, contre 220 entre 2011 et 2016. Cette progression de 1,6 % par an, « le double de la moyenne nationale », est présentée comme la preuve d’un dynamisme exceptionnel.

Certes, la croissance est réelle. Mais partir d’un niveau de chômage élevé facilite mécaniquement les performances relatives. De plus, la période 2016-2022 inclut la reprise post-Covid, qui a faussé les trajectoires partout en France. Comparer cette séquence avec la période 2011-2016, marquée par la crise économique européenne, amplifie artificiellement le contraste.
Enfin, pour une commune qui compte environ 12 231 habitants, la création de 876 emplois en six ans, bien que notable, ne constitue pas un « record » à l’échelle des villes moyennes françaises. Le superlatif relève davantage du registre publicitaire que de l’analyse économique.
Les créations d’entreprises : un indicateur à relativiser
Le « record de 486 créations d’entreprises en 2024 », soit une hausse de 50 % par rapport à 2020, clôture ce tableau dithyrambique. Mais là encore, le choix de l’année de référence oriente la lecture. 2020, année de confinement et d’incertitude maximale, a vu les créations d’entreprises s’effondrer partout en France. Comparer 2024 à cette année atypique garantit mécaniquement un résultat flatteur.
Par ailleurs, créer une entreprise ne signifie pas créer des emplois durables. L’explosion du statut de micro-entrepreneur ces dernières années gonfle les statistiques de création sans nécessairement traduire un enrichissement du tissu économique local. Combien de ces 486 entreprises emploient des salariés ? Combien seront encore actives dans trois ans ? Le texte se garde bien de poser ces questions.
Une pratique répandue, un problème démocratique
Cette utilisation sélective des statistiques publiques n’est pas propre à Châteaubriant. De nombreuses collectivités adoptent des stratégies similaires, invoquant l’INSEE pour se parer d’une autorité scientifique tout en omettant soigneusement les données moins favorables.
Mais cette pratique pose un problème démocratique. Les citoyens ont le droit à une information publique honnête, particulièrement lorsqu’elle émane de leurs institutions. Invoquer l’INSEE sans fournir de lien précis vers les données citées n’est pas un oubli : c’est une façon de décourager la vérification tout en s’appropriant la légitimité de l’institution statistique.
Les habitants de Châteaubriant connaissent leur réalité quotidienne. Ils savent si trouver un emploi est facile ou difficile, si leur territoire attire des entreprises pérennes ou connaît une précarisation croissante. Lorsque le discours officiel s’éloigne trop de cette réalité vécue, il ne renforce pas l’image du territoire : il érode la confiance dans la parole publique.
La ville de Châteaubriant présente les chiffres de la zone d’emploi, zone qui inclue des communes bien plus dynamiques que Châteaubriant, situées dans l’aire attractivité de Nantes, le long de la quatre voies, comme Puceul (6,6% de chômage).
La transparence exigerait de présenter l’ensemble des indicateurs, favorables et défavorables, et de fournir les sources précises permettant à chacun de vérifier.
Visuel de Une : l’agence locale de France-Travail, Châteaubriant – Alain Moreau
